L’Ukraine à bicyclette – Résurrection

Illustration de la causerie L'Ukraine à bicyclette

L’Ukraine à bicyclette, Photomontage – © Aurelia Gantier

Bonjour, toi, comment ça va ? Je t’ai manqué ? Parce qu’à moi, tu m’as manqué, seulement je ne le savais pas. Je savourais ma liberté de faire, et surtout de ne pas faire, sans obligation ni culpabilité. L’arrêt du couperet hebdomadaire, on est dimanche, qu’est-ce que j’écris pour mercredi ? Je me disais que ta disparition n’intéresserait véritablement personne, sauf moi ; quelques billets en ligne dont tout le monde se fout. Mais tu étais plus qu’un divertissement : tu étais mon rendez-vous hebdomadaire, ma date du dimanche soir, moi avec moi seule dans un bar, à réfléchir à la semaine passée et à se demander ce qui pourrait bien les intéresser, les autres, les potentiels lecteurs, de l’autre côté de l’ordinateur ; tu étais ma relation au monde et mon image publique, mais ça aussi, je ne le savais pas.

Pendant quelques mois, je t’ai sacrifié sur l’autel de la productivité – productivité, efficacité, gouffre financier, et je ne te parle même pas de spiritualité. Je t’ai sacrifié pour libérer du temps et mieux servir les autres (je te prie de m’excuser, c’est toujours ainsi que j’ai fonctionné, les autres devant et moi derrière), sans réaliser que cet espace mi-public mi-privé, cette porte ouverte d’eux à moi, était véritablement une chose que je faisais pour moi, c’est-à-dire pour toi. Comme je l’ai écrit quelque part, tu ne sers à rien, c’est pour cela que je t’aime, tu ne sers qu’à moi. Certaines personnes prendront plaisir à ta lecture, c’est secondaire. Aujourd’hui que j’abandonne tout ce qui m’a faite ces dernières années, je me sens plus légère du poids des autres. J’ai déjà dans ma caboche quelques billets que j’aimerais te proposer. On y va ?


J’ai rêvé de la guerre qui s’abattait sur nous, un souffle de suie noire dans un ciel bas. J’ai rêvé de la guerre qui décolorait la vie et la grignotait, les bâtiments qui rapetissaient. Nous nous étions réfugiés dans la cage d’escalier d’un immeuble à la lumière artificielle, sombre et poussiéreux. C’était probablement le mien : j’y habitais. La guerre permettait à la copropriété des vieillards en costume gris, cravatés jusqu’à faire exploser la corolle de bourrelets, d’évincer la seule personne saine d’esprit, un homme dans la force de l’âge que je ne connaissais pas. La guerre les avait rendus hargneux et moi combattive. Son départ programmé faisait vibrer en moi les cordes de la résistance et de la colère. « Raus ! Raus ! », criaient-ils. « Hors de question, s’il part, je pars avec lui. » – « Non, toi, tu restes ici ! »

Moi, j’avais acheté un casque à vélo, non pour me protéger des chutes d’en bas mais de celles qui pleuvraient prochainement du ciel sur nos têtes ; le casque m’apparaissait comme la meilleure des parades aux jours sombres qui s’annonçaient.

Finalement, j’ai attrapé mon casque et l’homme que je protégeais et nous avons quitté cette cage de mort pour la lumière. Il a enfourché sa bicyclette et moi la mienne et nous sommes partis sur les chemins, on a pédalé jusqu’au carrefour du monde des hommes, là où la Terre reprend ses droits. Nous avons laissé là nos colères et nous avons pédalé, tout droit.



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